[review] Gravity.

Cet article contient des spoilers. Si vous n’avez pas vu le film, veuillez suivre les instructions suivantes : levez-vous (ne pas tenir compte si déjà debout), mettez chaussures et veste (il fait frisquet en ce moment), attrappez sac à main et/ou portefeuille avec moyen de paiement à hauteur de dix euros. Tout bon ? Les étapes à suivre sont capitales. Sortez de chez vous (ne pas tenir compte si déjà debout), utilisez un moyen de transport terrestre (au choix : vos jambes, votre voiture, un bus, un taxi, une moto, une mobylette, un vespa, un camion, un van VW avec des fleurs, une mystery machine, un tracteur, un vélo, un velib, des rollers, une patinette customisée, un skate board, un poney, un cheval, un éléphant) le plus rapide qui puisse vous rendre sans encombres et rapidement jusqu’au premier cinéma qui vous tend les bras (la nature de celui-ci importe peu). Vous y êtes ? Entrez. Demandez à la dame (ou au monsieur) un ticket pour la prochaine séance de Gravity. Suivez les instructions données par la dame pour rejoindre la salle. Si possible, choisir un format IMAX ou 3D. Dans la salle, choisissez un siège au milieu, dans une rangée ni trop près ni trop loin de l’écran. Voilà. Si faim, vous avez à votre disposition des boissons et confiseries (mais dans ce cas-là, il fallait prendre plus que dix euros parce que ça coûte cher ces conneries). Dans un laps de temps relativement court, les lumières vont s’éteindre. Pas de panique. Des images vont défiler sur l’écran, ne pas bailler. Ou au moins essayer. Ce sont des pubs. Ensuite, des bandes annonces. Avoir envie d’en voir plus est normal. Enfin, un logo warner en noir et blanc : il est temps de mettre les lunettes si séance 3D. Dans approximativement une heure et demie, votre conception de ce qu’est une expérience visuelle cinématographique aura complètement changé ET vous pourrez me lire sans problèmes.

 

Que ceux que l’espace ne fascine pas d’une façon ou d’une autre lèvent la main. Z’êtes pas des masses, hein ! L’univers, dans son immensité qu’on ne parvient pas ni à quantifier ni à expliquer, a un pouvoir d’attraction immense chez l’être humain, et c’est tout naturellement que les arts, des plus primaires aux plus modernes, se sont penchés sur la question depuis toujours. Ce qui a donné des générations de fans de space opéra, des dizaines de films catastrophes, et, ici et là, quelques chefs d’oeuvres visionnaires ou simplement puissants. Mes deux plus fortes références, celles qui m’ont laissée pantoise et ivre, Apollo 13 et 2001, l’odyssée de l’espace, auraient pu se rencontrer et avoir un enfant prodige : Gravity. Et le rejeton surpasse ses illustres parents de tellement de façons qu’on s’étonne que les gens quittent la séance sans un mot à la fin du film, parce qu’on a l’impression d’avoir vécu une telle expérience boulversante, sidérante, éreintante, qu’on a presque envie de partager les impressions des autres pour calmer cette sensation presque étouffante.

 

Gravity n’est pas un film. C’est une expérience. Ce n’est pas une claque, c’est le coup de boule de Zidane. Ce n’est pas une réussite, c’est un chef d’oeuvre.

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Réalisé par : Alfonso Cuaron

Avec : Sandra Bullock, George Clooney, Ed Harris, Orto Ignatiussen.

Le pitch : Ryan Stone (Sandra Bullock), ingénieur médical de métier, et dont c’est la première mission dans l’espace sous le commandement de Matt Kowalski (George Clooney), un spationaute chevronné qui vit cette dernière mission avant la retraite, vont essuyer une pluie de débris lors d’une sortie pour maintenance technique du téléscope qui va faire tourner leur mission à la catastrophe.

Score : Steven Price.

 

 

Dès les premières secondes, l’immersion est absolue. Cuaron, dans son génie, ne s’encombre pas de détails. On ne récupère pas les grands classiques du film d’astronautes : la vue globale du centre spatial, les logos de la NASA gros comme des vaches, les décomptes du décollage, le plan d’ensemble sur Houston qui n’en mène pas large, le détour évident par l’oeil brillant du mari ou de la femme qui se demande si il ou elle n’est pas déjà veuf…Non. Cuaron nous plante une vue stupéfiante de la terre, dans un silence assourdissant, et la moitié de la salle a oublié son pop corn pour se retrouver bouche bée devant le spectacle.

 

Les bouches ne se fermeront plus pendant 100 minutes. Moi qui suis quand même une accro des trucs de dingue et des moments de bravoure du futuroscope, je n’ai pas resseré ma machoire un seul instant. Je me suis laissée prendre au jeu et j’en ai pris plein les yeux. Ce film a coûté cinq ans à Cuaron, et on sait dès les dix premières minutes que c’est le chef d’oeuvre d’une vie.

 

Mais le plus beau du film, c’est qu’il ne se limite pas à son extraordinaire prouesse technique, ce qu’on aurait pu craindre dans un premier temps. Absolument pas. Il y a un scénario parfaitement écrit, les personnages sont construits comme des silhouette de cristal, fluides et fragiles, et les temps du film mêlent urgence, horreur et émotion dans une tresse orfèvre, ou chaque brin est minutieusement lié aux autres tour à tour pour que le résultat soit époustouflant et immensément vrai. La tension ne retombe pas une seule seconde, depuis les premières images sidérante jusqu’au générique de fin, qu’on dévore jusqu’au bout parce qu’on n’est pas certain de parvenir à tenir debout après pareille épreuve.

 

Le moins qu’on puisse dire de Ryan, c’est qu’elle va vivre une journée de merde. Elle va enchaîner la poisse la plus fondamentale à une malchance déroutante, elle même prise dans un karma capricieux. C’est un personnage très fort, très posé, très calme, et pourtant, Sandra Bullock parvient à la rendre immensément attachante même sans débordements de pathos, juste parce qu’elle se bat jusqu’à la toute dernière seconde pour inverser le sort et retourner toutes les situations qui la voulaient perdue. Le personnage de Clooney apporte une touche d’humour chaleureuse, et un relan d’humanité d’une puissance folle dans un lieu aussi deshumanisé. Même si il n’est présent que dans la première partie du film-et une scène magique de la seconde-cela reste un de ses plus beaux rôles et un des plus boulversants. Son dialogue clownesque avec Houston, les habitudes de travail qui normalisent presque ce boulot hors du commun qu’est le sien, ses anecdotes que tout le monde connaît, son envie de battre ce fichu record de sortie dans l’espace, tout le rend profondément adorable, même en second plan, alors qu’au premier, Ryan se débat avec la technologie qui a décidé de lui jouer un sale tour.

 

Un des beaux tours de forces scénaristiques de Cuaron est l’omni présence des difficultés de la vie dans l’espace, qui retire cette pellicule de presque glamour que les autres films défendent toujours un peu. Dès le début, Houston signale à Ryan que sa température et ses battements cardiaques sont bas, qu’elle consomme trop d’oxygène à cause de son angoisse latente, elle mentionne le mal de l’espace, on sent bien que notre héroïne serait bien mieux sur le plancher des vaches, au contraire de Matt qui joue au grand huit au deuxième plan et qu’on voit passer dérrière elle gai comme un cabri, parfaitement à l’aise dans son métier. Quand Ryan, traversant la pluie de débris qui l’envoie se perdre au fin fond de l’espace, ne cesse de tourner, on se sent nauséeux avec elle, dans son casque, à voir cette boule bleue qui ne cesse d’apparaître et de disparaître de notre champs de vision, comme une promesse de retour de plus en plus incertain. Cuaron ne fait pas que priver ses acteurs de gravité, il joue avec la nôtre aussi.

 

Les premières qualités humaines et professionnelles hors normes de Matt se dessinent ici, lorsqu’il ne laisse pas Ryan paniquer toute seule, la force à se repérer, à lui donner des points importants, et, finalement, il revient la chercher comme si ce n’était rien, comme si c’était la routine de venir récupérer les jolies ingénieurs qui font du stop sur la voie lactée. Jamais, pas un seul instant, même lorsque la gravité de la situation est infernale, il ne perd son sang-froid, son humour et son charme, forçant Ryan à se surpasser pour lui sauver la vie. Matt est un héros au sens presque viscéral, tels que la littérature les veux depuis toujours, quelqu’un qui se met en retrait pour sauver la vie des autres, et le fait avec un panache foudroyant. C’est simple de grincer des dents quand quelqu’un se sacrifie, au cinéma, de le voir trop bon pour être vrai, mais dans le cas de Matt Kowalski, sa décision de venir se perdre lui plutôt que se laisser Ryan mourir n’est pas fruit d’une longue reflexion ou d’un terrible dilemme. C’est un appel du coeur, ça vient de ses tripes. Et pendant qu’il détache le lien qui le maintenait à Ryan, il lui explique avec le plus puissant des calmes qu’elle va s’en sortir, qu’elle connaît la solution, qu’elle doit le faire. Perdus à des centaines de kilomètres de la terre, l’humanité vient de se dépasser, toute entière cachée derrière Matt, comme si, dans cet enfer de silence, Cuaron voulait continuer d’y injecter un espoir fou et un message magnifique. Et alors que Ryan voit Matt dévier, continuer de s’amuser d’une situation qui lui sera funeste, et qu’elle tente de lui faire des promesses de sauvetage qu’elle ne pourra pas tenir de toutes façons, on se range dérrière elle et on se prend à y croire, parce qu’il n’a pas pu se sacrifier pour rien. C’est impossible, insurmontable. Et dans ma bouche grande ouverte, j’ai senti un goût salé.

 

Ryan est maintenant seule. Les autres astronautes sont morts, percutés par des débris ou congelés dans la station spatiale qui a subi des dégats incalculables.Et c’est là que le tour de force de Sandra Bullock prend toute sa puissance. Elle est seule, et elle tient le film à bout de bras avec une force surhumaine, probablement héritée de l’être humain qu’elle vient de perdre, peut être aussi de ceux qu’elle a perdu avant.

 

Cuaron aime son actrice, et il la magnifie quand même dans pareilles circonstances. Lorsqu’elle retire sa combinaison, encore boulversée de ce qui vient d’arriver, et se retrouve en débardeur et shorty, cheveux courts, sans maquillage, elle est magnifique. Cuaron la dévisage et la mange de la caméra, amoureux évident, et l’instant de flottement qu’elle se permet avant d’enrager à nouveau est un instant de sublime.

 

Mais il ne s’attarde pas dessus, et préfère explorer son sujet plus encore, dans la panique, dans l’espoir, et dans ce silence. Ryan tente de joindre Matt, hurle, lui demande de répondre, appelle Houston, mais personne ne répond, et elle meuble ce silence terrifiant d’une façon touchante, se parlant à elle même, s’aboyant des ordres venus d’un subalterne perdu depuis longtemps. Cependant, la lumière de Matt ne la quitte pas, dans aucune des épreuves qu’elle va traverser lorsque le feu ravage la station, lorsque le parachute de la capsule se bloque en plein milieu d’une nouvelle averse de débris, lorsqu’elle tente de rejoindre la sation chinoise. Tout le temps.

 

Dans cette capsule en forme de tombeau, alors que rien ne fonctionne, et qu’on subit autant qu’elle l’évidence de cette fin proche, Cuaron continue de nous offrir de l’humanité. Ryan capte une fréquence qui l’entend peut être, une fréquence qu’elle identifie comme terrestre parce qu’il y a des aboiements, une langue inconnue, un bébé, une berceuse. Elle parle à cette fréquence comme si elle parlait au monde, elle aboie avec les chiens, elle fait sa propre oraison funèbre, et du haut de nos sièges, renversés, on meurt un peu avec elle. Elle ferme les yeux, baisse l’oxygène, demande la berceuse. Coup de génie technique de la 3D, une goutte de ses larmes éclate virtuellement sur nos lunettes, et on retrouve le liquide sur nos joues, comme si la technologie avait réussi un petit miracle.

 

Tout le long, l’exceptionnelle bande originale de Steven Price, poignante, urgente, puissante, terrifiante, humanisante et deshumanisante tout à la fois, extraordinaire de nuances et de retenue, nous accompagne dans ces émotions immenses comme on ne les attendaient pas dans pareil film. Et pourtant.

 

Une grande lumière. On a perdu le fil du temps, de la vie, la logique de l’espace, et on retrouve notre Matt bien à nous, inondés de cette joie immense, qui, cabot, trouve la vodka promise cachée sous un siège, annonce que sa survie est toute une histoire, et montre à Ryan qu’elle a une solution de repli, que quelque chose brille d’un espoir, encore. Et en tant que spectateur, presque acteur tertiaire envoyé là haut pour les assister sans bruits, on sait que quelque chose cloche, que c’est impossible, et pourtant, on s’accroche de toutes nos forces à la possibilité d’une possibilité.

 

Cuaron nous offre alors ici un moment onirique, un moment où la conscience seule, déclinante, de Ryan, a ramené Matt à la vie, preuve définitive qu’avec son humanité, elle est partie avec son expérience aussi. Matt, c’est la vie. Il force Ryan à se secouer, il analyse en un clin d’oeil son attitude en perdition, et il la fait revenir à la vie. Et elle brille à nouveau par son espoir à lui, sa vie à lui, sa force à lui, couplée, enfin, à la sienne. Elle trouve la solution, elle parle à la station Chinoise, elle parle à Matt, elle parle à sa fille perdue, elle parle à la terre, elle parle à l’humanité entière, elle s’adresse à l’essence même de la vie en refusant son sort, et en persistant même si tout l’en empêche. Et elle ruse. Et on la suit, et on la pousse, et on veut, plus que tout, comme si tout dépendait d’elle, comme si elle avait la terre au creux de sa main, et on prend chaque nouvel obstacle en pleine tête, et on subi son épuisement, et pourtant, on continue d’y croire, on ne lâche rien parce qu’elle ne lâche rien et parce que Matt ne lâchait rien, et les dernières minutes de film sont plus éprouvantes qu’un marathon parce que toutes ces émotions, tous ces moments d’humanité accumulés les uns derrière les autres sans relâche tout le long sont en train d’imploser, telle la capsule chinoise de Ryan qui perce l’atmosphère et hurle son retour sur terre absolument. Du froid intense, on passe à la chaleur infernale, là, avec Ryan qui serre les dents et les fesses, et qui ne lâche rien, et qui continue à chaque seconde d’enfer de croire que sa petite bulle va arriver sur terre.

 

Et elle arrive. Elle arrive dans l’eau, magnifique élément symbolique que Cuaron réutilise, elle qui donne sa couleur à la terre, et sa vie. On a envie de hurler de joie, avant que la capsule ne s’inonde, et qu’on ne recommence à craindre pour la vie de notre héroïne à nouveau. Elle est toujours lestée de sa combinaison spatiale, et on retient notre souffle, en apnée fatale, jusqu’à ce qu’elle parvienne à tout relâcher, et à remonter à la surface. Cette première inspiration d’oxygène terrienne est salvatrice pour tout le monde, elle autant que nous, et elle est si forte qu’on ressent presque, là haut, parmis la pluie de débris en forme de météores, cette respiration venir pénétrer le corps perdu de Matt.

 

Quand elle rejoint le sable, la terre déserte, et qu’elle le prend à pleines mains, et que Cuaron nous offre cette vision de Ryan vue par en dessous, on la sent immense, plus superhéroïne que juste héroïne, et surtout, plus vivante que la vie elle-même. Et si la peau de Ryan est trempée d’eau de mer, la nôtre l’est tout autant, trempée d’eau de larmes tellement le moment est puissant. Le film se termine sur la promesse d’un sauvetage futur, déclenché par le lancement de la capsule chinoise, et sur le futur de Ryan, chargée de l’âme de Matt, et Cuaron prend la décision épatante de nous laisser dessiner à notre grè la suite.

 

Ce film est un tour de force, épuisant et magnifique. Ses acteurs sont au delà du sublime, et son réalisateur a réinventé le mot « génie ». On sort de là chamboulé, les tripes remuées, le coeur en miettes, l’âme en vrac, avec la persistante sensation d’avoir vécu un moment historique de l’histoire du cinéma. Tout est fabuleux dans ce film, tout est riche, tout est beau à un niveau presque insupportable.

 

J’en ai vu un paquet, de films, dans ma courte vie, j’en ai aimé beaucoup, j’en ai adoré quelques uns, mais celui là est d’un niveau tout autre, et est probablement un des meilleurs films de l’année, sinon plus. C’est toujours beau de voir éclore un classique, là, juste sous nos yeux.

 

Une chose est certaine (et 12 Years A Salve peut jouer une carte importante), j’ai trouvé mon premier candidat pour les Oscars, et j’en vois quelques uns tomber de manière évidente.

 

Leave The Bourbon On The Shelf

 

Et puis merde, tiens. Si je continue de me prendre des claques dans la gueule données par B.F encore longtemps, JE VAIS FINIR DANS LE COMA.

Personne n’a jamais aussi bien parlé de la jalousie que ce mec-là le fait. Personne.

La grande nouveauté avec the Killers ? Ils ne font pas que faire ressortir mes bons côtés, ils embrassent aussi tous mes défauts. Et ça, c’est nouveau.

La. Claque.