Comme un goût amer de victoire absolue.

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Cette photo, enfin, cet artwork, cette couverture, fruit du travail d’une amie qui m’est chère, résume à lui seul la plus éprouvante de toutes les batailles de ma vie (et il y en a quand même un certain nombre, soyons honnêtes). Celle qui consiste à prendre à revers tous les codes, toutes les opinions, toutes les obligations, et à se dire qu’il faut absolument essayer d’aller au bout de ce rêve-ci, parce que personne ne sait où je serai demain ou dans un an.

En 2010, année charnière de mon existence, alors que j’étais coincée dans un job détestable chez Free, où j’y étais détestée parce que je ne rentrais dans aucun standard, aucun stéréotype, et parce que j’étais trop rêveuse et trimballais avec moi en permanence un manuscrit que je corrigeais pendant mes pauses, pour mon anniversaire, je me suis offert un livre. Un vrai, avec des pages et des numéros et qui coûtait plus de vingt euros. La fille de papier. J’ai toujours adoré Musso, et celui-ci…Celui-ci m’a boulversée.

Quand j’ai eu terminé ma lecture, quelques heures après son achat, c’était un samedi, je suis allée chercher jus de fruits et croissants pour mes collègues, je suis allée travailler, j’ai fait une journée magnifique en terme de chiffres, tout le monde a fait semblant de m’apprécier, j’ai reposé mon casque dans mon casier, ait confié les clefs à une collègue, et je suis sortie, la tête haute. Je n’y suis jamais retournée. Je suis rentrée, j’ai allumé mon pc, je me suis assise sur mon canapé, et j’ai écrit la première ligne.

La fin. 

Le 3 Juillet 2010, j’ai fermé mes volets, fait des recharges massives de bouffe, retiré mon radio-réveil, déplacé mon bureau, et j’ai commencé à écrire la version de La Fille Du Premier Rang qui a été la plus lue jusqu’ici. Je me suis battue contre moi-même pour aller au bout, pour ne pas laisser tomber, pour ne pas succomber au desespoir ou à l’absence d’espoir, pour ne pas avoir peur, pour ne pas croire que tout ce que tout le monde disait était vrai. J’ai décidé de ne rien lâcher. J’ai décidé que j’allais tout tenter pour avoir cette vie hors des clous, complètement irrégulière et folle, mais au moins, c’était ma vie, et personne ne pouvait m’accuser de me trahir.

Pendant deux mois, deux longs et extrêmement douloureux mois, j’ai écrit des dizaines de pages par nuit. Je me levais dans l’après midi, n’était couchée que tard le matin, et couvrais des pages et des pages et des pages de cette histoire qui me prenait aux tripes, et je ne me suis pas laissée une journée de répit. Pendant deux mois, j’ai travaillé sans arrêt seize heures par jour, me stoppant pour me doucher, manger, relever le courrier. Je n’ai rien lâché. Je n’ai rien laissé de côté, et même les idées que j’avais peur d’exploiter parce qu’elle jouait avec mes pires trouilles ou mes fantasmes, je les ai épinglées au mur et je les ai autopsiées une à une. J’ai épinglé avec mon propre coeur, et un morceau gigantesque de mon âme. Pendant deux mois, toutes mes émotions ont été décuplées, amplifiées, tordues et brûlées, découpées en morceau et recolées, brisées, opérées, violentées, elles ont subi tout ce que j’ai fait subir à Melinda.

Melinda…Je l’ai crée à partir de rien. J’ai défini ses forces, ses faiblesses, j’ai façonné son coeur et son corps, son âme et son destin, je l’ai fait passer par les pires tortures et je l’ai fait se relever, plus puissante que le plus puissant des phénix, de tout, et surtout de l’horreur. Je lui ai offert le plus grand amour que mon esprit tordu pouvait créer, je lui ai donné comme moitié un être encore plus extraordinaire qu’elle. J’ai joué avec mes passions, j’ai détourné mes idoles, j’ai forcé toutes mes limites.

Le 28 Août, j’ai posé le dernier point. Fin. Il y restait les corrections et les erreurs chères à ma tête de linote, mais l’histoire, elle était là. Elle ne bougerait pas, ou peu.

Accoucher d’un roman est quelque chose d’infiniment compliqué et d’extrêmement douloureux. Il faut avoir un culot monstre, pour tenir une histoire jusqu’au bout sans succomber aux présomptions systématique du pourquoi la mienne et pas une autre, et si elle ressemble à autre chose, et si quelqu’un l’a déjà écrit, et si, et si, et si…Il faut une force que je ne me savais pas avoir, et que je peine à retrouver aujourd’hui.

J’ai passé la fin de l’année 2010 à tenter de faire lire cette histoire, à des amis, à des connaissances, à des lecteurs, à des éditeurs, et prier de toutes mes forces pour que mon karma ridicule m’aide, cette fois, cette fois seulement, à attirer l’attention, parce que j’y croyais et j’y crois toujours.

J’ai eu cinq compte rendus positifs, qui voulaient me publier, de maison d’éditions qui demandaient une participation financière. Et un courrier d’éditeur qui ne prend pas le temps de me lire et estime que ses réponses types sont acceptables, detruisant au passage un manuscrit imprimé, édité, envoyé avec amour. L’épreuve de l’édition, et de la frustration de ne pas être bien née et de ne porter ni le nom ni le compte en banque requis est immense, et la folie est tout autours. J’ai cru avoir gagné. Mais non. Non, je ne pouvais pas investir des mille et des cents.

En 2011, j’ai pris la solution de facilité, parce que je ne pouvais plus supporter cet amour que j’avais pour ce manuscrit, et qui semblait me tuer de l’intérieur parce qu’ironiquement, je manquais de culot pour le mettre en lumière. J’ai choisi l’auto-édition, me faisait voler soixante pour cent du prix final pour “l’impression”. Autant le mettre en ligne gratuitement. Mais je voulais, une fois au moins, le voir en pages, en couverture, en vrai, signer une dédicace, tromper mon esprit, oser y croire.

C’est difficile d’aimer un enfant à qui on refuse un avenir sans même le regarder.

Aujourd’hui, et parce que je sais que je suis une battante, mon point de vue sur la question évolue, et ne cesse d’évoluer. Quand une nouvelle lectrice vient me trouver en me disant qu’elle a vibré cette histoire, qu’elle ne l’a pas lâché, qu’elle aime ce roman et a tout pris en pleine poire, quand elle vient me dire qu’elle n’oubliera pas Melinda et Matt, je me sens toute puissante. L’avis singulier me semble tellement plus important que l’avis de la masse, maintenant, et quand on me dit ce genre de choses, je suis la plus heureuse et la plus accomplie. Personne ne peut me voler ces moments.

Je suis actuellement en train de finaliser une réecriture pour un concours. Personne ne sait ce que cela va donner. Si je le savais, peut être que j’arrêterais, peut être que j’irais plus vite. Peut être, ou peut être pas. J’essaie, quoiqu’il arrive, parce qu’en trois ans, j’ai croisé un certain nombre de “s’il te plaît, n’abandonne pas, moi j’y crois”, et pour elles, pour Mel, pour Matt, je me dois d’aller jusqu’au bout, même si c’est comme planter une dague dans une ancienne cicatrice, et la remuer jusqu’au point de l’abrutissement.

 

Je ne veux pas l’argent, le succès, la célébrité, le contrat en or. Je veux juste être lue, et pouvoir continuer à raconter mes histoires pour les gens qui ont décidé qu’elles étaient belles.