Un ciel rose.

Quand j’étais petite, toute petite, bien avant la puberté et l’éveil de mon propre sens critique et artistique, je me souviens que l’on m’avait gavée de notions blessantes qui ont fait des années et des années de ravages. J’étais une gamine pleine d’émotions, qui pleurait facilement, et qui était en constante recherche de petits bonheurs qui prenaient toute leur importance. J’ai appris à lire avant de savoir marcher, et dès ce jeune age, les livres, l’écriture, le cinéma, les séries, chaque format de narration avait une importance folle pour moi, comme quelque chose de précieux, d’unique, et de fragile. Ceux qui jouaient le jeu de mes moments de joie étaient importants, plus que n’importe quoi d’autre.

Mon père était le plus grand complice de ces moments. Il en a généré la plupart, et il était toujours persuadé que c’était la voie que je devais épouser. Il s’en est battu, pour moi.

Mais de l’autre côté, entre autres humiliations, ses préférées, c’était de remettre en question ma sensibilité, et en me qualifiant  d’immature, de bête personne. Quand je riais trop fort, elle me disait que c’était ridicule. Quand je pleurais, elle se moquait ouvertement de la nature de mes larmes. Quand je vibrais, j’étais une fantasque crétine tout juste bonne à finir chez les fous.

En grandissant, le phénomène s’est aggravé, causant en moi des dommages irreversibles. J’ai cru pendant des années, près d’une decennie, que j’étais tout juste un jouet cassé destiné à la casse, une erreur génétique, je m’en voulais de ressentir des choses si fortes pour ce qui n’existait même pas à ses yeux. Je n’étais pas interessée par les boutiques de fringues, je n’étais pas captivée une seule seconde par le maquillage et par les boîtes de nuit, et je m’en contrefichais de sortir avec untel ou untel. La seule chose qui me tenait aux tripes, c’était tout ce qu’une fnac ou un virgin pouvait receller de merveilles, de trésors, de bonheurs qui lui étaient inaccessibles, elle, mais qui, moi, me tendait la main, dans leur surdimension que je croyais pathologique.

En grandissant, je me suis rendue compte que ma maturité était bien installée, forcée par des années d’humiliations et de sens des responsabilités obligé, mais qu’elle n’avait rien, absolument rien à voir avec qui j’étais, et que ce que j’étais s’était bâti sur ces choses qui étaient si mauvaises, si répréhensibles.

Aujourd’hui, à 28 ans, j’ai conservé la force immense qu’est celle de pouvoir se réjouir au plus haut point de “petites” choses, et je suis toujours une éponge à émotions, d’où qu’elles viennent. Ce blog en est le témoin le plus pur. Quand j’aime, j’aime passionément, et je ne bloque pas une seule seconde, pas un seul instant les merveilles qui peuvent me venir de là, et grand bien m’en a pris. Grand bien m’en prends toujours. Grand bien continue de m’en prendre aussi longtemps que je serais vivante. Et même quand les choses que j’aime si fort me déçoivent, et parce que je les aime si fort, je continue de les aimer, malgré les déceptions.

J’étais destinée à devenir un être incapable d’aimer, parce que je n’avais reçu que de la haine et du mépris de la part de la femme qui m’a donné le jour. J’étais destinée à être une petite chose sèche, fermée, vide, si j’avais suivi ce qu’on a tenté de mettre dans ma tête et sur mon parcours. A la place, je suis une amoureuse née, je tombe amoureuse de tout, tout le temps, partout, et quand j’ai de la chance, et jusqu’ici, j’en ai eu pas mal, je tombe sur des choses qui méritent qu’on les aime immensément. On ne peut pas gâcher de l’amour, qu’il soit pour un ami, pour un amant, pour un artiste, pour un acteur, pour un auteur. C’est impossible. Ce ne sont que des choses empruntes d’une pureté trop rare pour cracher dessus.

Alors je continue. J’attrappe et je déborde. Je suis une spontex à sentiments, une serpillère émotionnelle, un seau à magnifique. Quand on fait les choses avec passion, je me dois de les éprouver avec le même fond.

Qui peut m’en vouloir de me faire une fête de revoir White Lies bientôt ? Qui peut m’en vouloir d’avoir éprouvé de si beaux sentiments en mars ? Qui peut me dire que tant de moments avec Muse furent des moments gâchés ? Ce ne sont que des moments gagnés. Chaque instant de plénitude, chaque seconde passée à profiter et à se réjouir et à compter les jours et à en prendre en pleine gueule fut une victoire sur tout. Du temps de gagné.

Alors, si le plus gros tag de ma liste d’articles aujourd’hui s’appelle Benedict Cumberbatch, si le nombre d’articles exaltés qui lui sont consacrés est en constante augmentation, et si il a envahi mon univers entièrement, c’est bel et bien parce qu’il est le plus gros générateur de ces précieux moments que je n’ai encore jamais connu. C’est mon propre faiseur de miracles, mon créateur de beauté, ma reserve de sublime et de boulversant inépuisable, et inépuisante.

Les choses que j’aime sont les choses qui me façonnent, et ce sont elles qui me rendent aussi forte que possible, plus forte que tout ce que les propos destructeurs d’une enfance bordélique ne pourront, finalement, jamais entamer.

Ce soir, en me retrouvant excitée comme une puce à l’idée que mon cinéma local m’offre ma troisième vision de Star Trek en VO, ce que j’attendais depuis le début, je me suis rendue compte de deux choses. La première, c’est que je dois être sacrément chanceuse pour avoir accès à de si jolis moments si simplement. La seconde, c’est que j’ai raison depuis le début. Il n’existe pas un seul bonheur unique, mais il se nourrit de toutes les formes possibles et imaginables, et en ce moment, le moins qu’on puisse dire, c’est que mon fournisseur est plutôt généreux.

Alors j’en sais rien, l’après. Je sais même pas où je serais dans des semaines, des mois, des années. Je ne sais pas. J’ai peur de certaines choses. Mais tant que je garde cette source à mes côtés, celle qui a tant de visages, tant de formes, et tant de sens, alors ça ira. Je suis celle qui est du côté du bonheur, je reste sur cette rive, et je m’accroche à tout ce que je peux pour m’assurer que je vais demeurer ici.

Et si demain…

Laissons les si à demain. Demain, c’est loin.