[not march 31st]

Je menais de front ma nuit (oui, je vis pas mal la nuit en ce moment, à cause de l’écriture) en étant de plutôt bonne humeur, quand j’ai brusquement réalisé la date. Demain, c’est le 31 Mars. J’ai cette putain de date gravée dans l’intérieur du poignet, avec trois étoiles, quatre lignes de chanson et un nom de groupe.

Muse

J’avais deux choix. Soit je m’en foutais totalement, passais au dessus du 31 Mars sans y penser, et on en parlait plus pour un an. Mais ce serait dire que je regrette le beau et ne regrette pas le mauvais. Et ce serait mentir. Bien sûr que je regrette. Amèrement. Cruellement. Bien sûr qu’il reste un trou de la taille du Texas (qui est un pays, n’est-ce pas Brandon) à l’intérieur, un trou et six ans de ma vie qui me sont sur les bras comme un poids mort. La question principale restant : et ces souvenirs, j’en fais quoi ? Je les range, les stocke, mets mon mouchoir par dessus et n’y pense plus ? Je les ressasse avec colère jusqu’à m’auto-mutiler ? Je fais mon devoir de veuve une fois par an, en tentant de ne pas laisser l’amertume environnante me gagner ?

Le fait est qu’il y a sept ans, je m’apprétais à vivre une des journées les plus décisives de ma vie, et une des plus importantes, puisqu’elle m’a tirée de bien des mauvaises passes, et surtout, elle m’a envoyée sur le chemin de la rémission. Elle a tué la depression sévère qui s’était emparée de moi bien, bien auparavant. Elle a tout changé. Tout.

J’aurais tout fait. J’ai parcouru plus de 11 000 kilomètres, passé une vie et demie à attendre pour un train, avion, concert, bus, métro, j’ai dépensé tous mes sous, au centime près, je me suis rendue folle, malade, vivante, magique, heureuse, surtout. Tellement heureuse. J’ai gravé des images dans mon âme, des trucs que ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent qu’imaginer. Je me suis mise misérable a force de manque, j’ai hurlé de joie en apprenant des tournées, j’ai vécu tous les excès qu’une vie de fan peut comprendre. J’ai tout fait, je me suis vendue, je me suis blessée, je me suis fatiguée, j’ai vu plus de choses que la plupart des gens ne verront en une vie entière. J’ai littéralement brûlé la chandelle par les deux bouts.

Et puis il y avait surtout ce groupe, qui avait tout justifié, même ce qui ne pouvait pas l’être. Ils m’en ont appris, des choses. Ils m’en ont montré, des merveilles. Ils m’en ont guéri, des blessures. Ils en ont crée, des rêves, et plus encore, ils les ont presque tous réalisés.

Presque.

Celui qui me tenait le plus à coeur, celui contre lequel je me peletonnais, celui pour qui j’ai tout essayé, c’est celui qui s’est effondré, et qui n’a plus le moindre sens aujourd’hui. Comme si je m’étais réveillée après un long coma au pays des chimères. Comme si d’un coup, la magie avait décidé de cesser de fonctionner.

J’aurais parié sur tous les dieux, et tous les diables, à l’époque, que non seulement je serais toujours liée à eux aujourd’hui, et surtout, que personne ne pourrait jamais me faire un effet plus…Fort qu’eux.

Ces deux constats sont deux chimères.

Aujourd’hui, au mieux, ils m’inspirent de l’indifférence, et au pire, un rire jaune, tellement desabusé. Quand je vois qu’ils sont collés dans une compil NRJ entre one direction et sexion d’assaut, j’ai envie de hurler au sacrilège, de crier à l’ineptie. Quand je vois qu’ils sont dans les pages people des magazines à gonzesse au lieu des pages rock des magazines spécialisés, j’ai envie de m’arracher les yeux. Quand je vois qu’ils mettent six mois à vendre ce qu’ils liquidaient en une demie heure à l’époque, j’ai envie de pleurer. Bellamy est devenu une parodie de lui-même, et pas une drôle. Une triste. On dirait un pantin qui avait sectionné ses propres ficelles depuis des années, et qui s’est fait rattrapper par un fournisseur de chaines qui a remplacé ce qu’il avait mis tant de temps à dissoudre.

Je me demande, souvent, si il se rend bien compte du processus d’auto-destruction dans lequel il est jusqu’au cou. Je me pose la question. Et puis je me demande aussi si il souffre de cette situation, si il la comprend vraiment. J’aimerais lui dire allez, viens, on va se prendre un café et on va tout reprendre depuis le début, on va dêmeler cet enchevêtrement d’emmerdes dans lesquelles tu t’es mis.

Quand j’imagine cette conversation, anonyme, d’ancienne fan envers son idole perdue, j’espère toujours que rien ne va me rappeler la réalité des choses, et que je vais jusqu’au bout de cet entretien. Mais inexorablement, à un moment donné, sur la rive opposée, en face, j’aperçois une bouille familière, qu’elle fut barbue et italienne, chevelue et renfrognée, bouclée et souriante, ou juste formée de proportions qui tiennent de la perfection, et il m’est impossible de continuer à tenter de convaindre Matt de revenir dans le droit chemin, je ne lui laisse pas une chance, et je cours vers mes héros, validant en même temps le fait qu’en 37 concerts, personne ne m’a fait l’effet que eux m’ont fait en trois concerts annulés et une nuit de perfection. Je le laisse là, seul, misérable, avec la moitié des explications restées en suspend. Et l’addition.

Et puis je me pose la pire de toutes les questions, celle que je devrais refuser de manifester, celle que je devrais enterrer à grand coups de pelle, mais qui s’impose quand même…

Ces années, ont-elles été perdues ? Ont-elles été une vague répétition de ce qui se passe, là, aujourd’hui, et dont je suis en pleine mesure de l’impact ?

Je me rappelle de la souffrance inéxorablement liée à Muse. Je me souviens de la douleur, je m’en souviens très bien. Et là…Rien. Ils me manquent tellement, mais c’est un effet positif, ça me pousse, ça me force à reprendre la route, à aller de l’avant, à continuer de me battre. Chaque concert de Muse, les 36 qui comptent (parce que le 37e, je préférerais l’oublier) a toujours été suivi d’une période ou je me sentais plus misérable que la misère, toujours. Alors quoi…Est-ce que je ne me suis pas un peu fourvoyée ? Est-ce que les premiers qui ont pris un bout de mon coeur n’étaient-ils pas finalement destinés à tout emporter ? C’est ce qu’ils ont fini par faire. Abattre leur cartes et présenter une quinte flush contre trois cartes minables, sans sens, sans suite.

Est-ce que tout simplement je ne me suis pas royalement plantée dans le mur ? La question mérite d’être posée. Je ne me suis jamais sentie aussi bien. Aussi bien qu’aujourd’hui. Je suis renforcée, comme si on avait blindé le béton de mes fondations…Avec de l’acier trempé.

Je ne sais pas précisément ce qui s’est passé avec Muse. Si c’était la plus grande des histoires a double sens, ou si je n’ai ramé que toute seule, et que j’en ai eu marre. Une chose est sûre, je ne les aimais pas assez fort pour endurer toutes ces bêtises, toutes ces manoeuvres qui vont pousser le groupe un peu plus loin de ce que j’aimais tous les jours.

Le plus important, naturellement, c’est de savoir où je me situe aujourd’hui, et d’avoir les deux pieds solidement ancrés dans le réel.

Quand à mes souvenirs, ils vont me rester sur les bras encore un moment, je le crains. Peut être qu’un jour prochain, on pourra recréer quelque chose.

J’en doute.

Et surtout, je doute d’en vouloir.

Je suis bien où je suis.

The Killers

Je ne souhaite plus être nulle part ailleurs. Nulle. Part. 

The Killers