The Fifth Estate : chronique d’un bide annoncé.

Un air de déjà vu ? L’impression d’avoir vu passer des articles nommés de la même façon un peu partout aujourd’hui ? Pour cause : tout le monde y va de son petit mot. Pas un influent du cinéma qui n’ait souligné l’échec assourdissant du film sur Wikileaks comme par ici. Sorti cette semaine aux Etats Unis, le film a fait un bide total, ne rassemblant que 1 700 000 dollars pour une projection massive sur 1760 écrans. Soit le plus mauvais démarrage de l’année (pour parler en nombre de spectateurs, moins de 190 000 pour 314 millions d’habitants, rapporté à la france, cela donnerait quelque chose comme 40 000 spectateurs le premier week end pour un film à gros budget. Faites le calcul : c’est une catastrophe commerciale sans précédent pour 2013).

Une citation de Disney dit quand même “il faut qu’on se pose les bonnes questions, qu’on questionne le pourquoi du comment”, ce qui, perso, m’a fait doucement rire. Disney, champions du monde de la fausse bonne idée mal gérée, mal traitée, mal intentionnée, et qui ne comprend pas pourquoi ça foire.

Petit panel des raisons pour lesquelles The Fifth Estate va être un des plus beaux bides de Disney (Chicken Little & Lone Ranger inclus)…

  1. On fait un film sur Julian Assange sans Julian Assange et en se basant sur des gens qui n’aiment pas Julian Assange : franchement, grosse marade. Ils ont quand même décidé de faire un film sur l’australien sans jamais le consulter, et écrivant un script qui sera basé et conseillé par Daniel Domscheit-Berg, qui a été un des premiers partenaires de travail d’Assange mais dont les opinions ont divergé et qui a publié une biographie de Wikileaks qui ne défend forcément qu’un côté de l’histoire. Manichéen, Disney ?
  2. On choisit comme acteur principal quelqu’un qui est la coqueluche du moment: on bénéficie de ce fait d’une bonne tartine de publicité gratuite auto-générée par le phénomène “année Cumberbatch”. L’acteur est certes de talent, mais il l’est surtout quand on lui met à disposition un script malin.
  3. On filtre les relations de presse avec Wikileaks, on leur interdit de venir aux projections et on agit comme si c’était normal. On parle de Wikileaks, des gens qui publient des informations secret-défense et les transmettent au grand public par soucis de véracité et de transparence. Ce qui revient a peu près à se couper un bras et se jeter dans un bain plein de requins en espérant qu’ils ne vont pas mordre. Et…
  4. Wikileaks a mordu. Fort. Depuis la première présentation du film à TIFF (festival de Toronto) et sa foison de reviews qui vont du tièdes ‘vaut le coup d’être vu une fois’ jusqu’au glacial ‘pire film de l’année’, l’organisation mondiale et son charismatique leader ont contre-attaqué, et qui pourrait leur en vouloir (les cumberbiatch, mais on en reparle après) (ah, vous l’aviez pas vu arriver, celle là !) (oui, je ménage mes effets) ? Les premières phases furent d’information quand aux procédés de fonctionnement de Disney vis-à-vis d’eux : l’autruche. Ensuite, ils ont pointé du doigt les affiches de Benedict-en-Assange avec la mention ‘traitor’ qui ont été collées en majorité pour la promo dans les grandes villes du monde (estimation du nombre de ‘traitor’ a plus de soixante cinq pourcent du total affiché). Dans la logique de transparence, ils ont publié les mails échangés entre Assange et Benedict, soit deux longues proses qui, pour la première, lui expliquaient paisiblement qu’il allait servir de haut parleur à quelque chose de mal intentionné, et pour la suivante, d’une explication détaillée des ressources à sa disposition pour connaître la vérité, ou au moins, celle du côté opposé. Et enfin, le jour de la sortie anglaise de The Fifth Estate, et pour quelque jours, Mediastan, un documentaire sur Wikileaks où ils ont été consultés, a été mis en téléchargement gratuit. En outre, le compte twitter reposte régulièrement les reviews en 140 caractères, qui soulignent toujours à quel point le film est profondément ennuyeux. Quand on titille l’enemi, on ne peut pas venir pleurer parce qu’il répond.
  5. Baser la promotion presque uniquement sur la Cumberbiatch : probablement ce qui m’a le plus interpellée. Dès le début, les comptes médias de The Fifth Estate (surtout les deux twitter, TFE & TFEuk) ont quasiment entièrement basé leur promotion sur la fan de Benedict qui réfléchit moyen à la soupe qu’on va lui vendre. Retweet de nanas qui fangirlent sur les affiches, repost de liens BuzzFeed (quintessence du journalisme) sur “20 trucs qui disent que tu es une Cumberbabe”, partenariat avec les sites experts es-groupies pour faire gagner des affiches signées par Benedict (et les autres ? C’est vrai, y’a jamais QUE Daniel Brühl-qui a impressionné dans Rush-Laura Linney-qui est quand même une putain d’actrice-Stanley Tucci-par où commencer les rôles marquants de sa carrière de dingue…), invitations des sites de fans (pas les plus éclairés) alors que Assange et son équipe ne le sont pas (comment ça, ROFL ?) (ROFL) et ceci n’est qu’une petite liste non-exhaustive. Mais qu’est-ce qui leur est passé par la tête ? Quelle équipe de com peut décider de baser le travail médiatique d’un film SUPPOSE ETRE UN BIOPIC (DONC AU MOINS UN FILM POLITIQUE DONC UN MINIMUM SERIEUX DONC AVEC UN MESSAGE) sur un troupeau de nanas qui ne savaient pas qui était Julian Assange avant qu’il n’accepte le rôle, et se pâment devant la blondeur de son incarnation ? J’ai passé mon temps à espérer quelque chose de plus fort, quelque chose de vrai, quelque chose qui serait un rien axé sur le propos du film. Mais quand des miettes volaient, elles ne duraient pas.
  6. Une course aux oscars tellement enragée qu’elle en devient ridicule : vraiment, Disney ? Un film sur un truc polémique, avec un mec qui divise, un acteur qui a la côte (et le talent, parce que, je râle, je râle, mais il reste une bête d’acteur quand même) et une sortie pile dans la zone de sélection, qui a fait le tour des festivals (ce qui a permis de le descendre en règle avant sa sortie, bad move). Sauf que, méga fail, puisque des films qui pétaient nettement moins haut qu’ils avaient le cul vont faire les beaux jours de la cérémonie de cette année : 12 Years A Slave (avec un vrai script basé sur un vrai roman), Le Majordome, Gravity, Prisonners, etc…
  7. C’est quoi ce réalisateur ? Ses deux derniers films ? Twilight : Breaking Dawn part 1 & 2. Voilà voilà voilà. Donc bon, pour résumer, un mec qui a tellement de conscience pro qu’il accepte de réaliser non pas un mais deux films sur une saga un peu pourrie, générant au passage des pepettes, du pez, de l’oseille, bref, des sous faciles (générés sur la groupie de Rpatz. Voyez où je veux en venir…?)
  8. C’est quoi ce distributeur ? Disney. Via Touchstone. Des gens dont la réputation est pas vraiment celle de défenseurs de la réalité ou d’une objectivité, et surtout pas quand elle ne va pas dans le sens des Etats Unis.
  9. C’est quoi ce choix de faire un tel film si tôt ? Bon, si, je sais, c’est une ruse pour faire vendre (bon, dans ce cas-précis, pour faire acheter du ticket) mais l’année du procès Manning, de Snowden, et des élections australiennes où Wikileaks compte gagner des sièges au parlement…Un film mal intentionné qui va, forcément, faire plus de mal encore de cette façon. Bien vu, les mecs. Bien vu.

Alors vous pensez bien, avec une telle formule explosive, eh ben gagné, ça fait pétard mouillé. The Fifth Estate est sorti aux Etats Unis ce week end, et gros, gros flop qui fait tâche sur le CV de, ben (“ben” l’interjection, pas “Ben” le diminitutif de…Nevermind) tout le monde, Benedict y compris (ah ben si. Ah ben Ben si) (oh, ça va, j’ai le droit de rigoley). C’est d’ailleurs ce sur quoi la plupart des articles relatant le retour de bâton se penchent, savoir si vraiment, ça va faire la différence…Sachant que les prochains films ne sont ni polémiques ni réalisés par une bande de babouins qui bouffent des billets verts (12 Years A Slave, August : Osage County, The Hobbit) et qu’il y a toujours le trèèèèèès attendu Sherlock saison trois.

Mais bon, là ou c’est vraiment, vraiment marrant, c’est de voir les réactions de la population Cumberbitchienne (décidément, quel humour, Axy) qui joue les schizophrènes : mais non, Benedict ne sera pas touché, mais alors de l’autre côté, que Julian soit touché et se rebiffe fait de lui le pire des enflures. Et puis forcément, les chances d’oscar étant réduite à zéro, elles sont choquées, elles tweetent des trucs du genre ‘y’a plus de talent dans ses plombages/poils de nez que dans tout Hollywood’ et elles se roulent en boule et tapent du pied.

caliméroBon, remettons les choses à plat. Si Benedict n’a pas l’oscar cette année, c’est pas grave, hein, on va s’en remettre et lui aussi. Des acteurs magnifiques (au sens du talent, hein) et qui le méritent (depuis une histoire de bateau qui se prend un iceberg) ne l’ont toujours pas, et SURPRISE, ils ont continué de faire des films, et mieux, ils ont même fait des films encore meilleurs. A croire que ne pas avoir d’oscar ça rend plus enragé et plus inspiré…Et pas la peine d’en vouloir à la terre entière quand il n’aura pas de nominations dans quelques mois, les mecs qui s’y retrouveront seront tout aussi talenteux, et surtout, eux, ils auront fait le bon choix. Ensuite, si Assange se venge-et bordel, il y va quand même léger pour un mec qui pourrait pourrir la vie de Benedict salement-peut être que c’est parce que de se voir diabolisé dans un film qui a été fait sans le consulter, il a apprécié moyen moyen. Peut être.

Et enfin, BIEN SUR QUE LE FLOP VA AFFECTER BENEDICT. Et sur tous les plans, personnel comme professionnel. Il y a des chances que des projets futurs sautent, ou qu’il ait a plus se battre pour des rôles, et surtout, il va sûrement être appelé à se questionner profondément, et a mesurer ses erreurs et ses responsabilités. Et c’est tant mieux. Même si sa prestation est louée et est la seule chose qui sauve le film-c’est pô moi qui le dit-les erreurs sont destinées à faire avancer, peu importe le contexte. Peut être que son espèce d’envie de décrocher un premier rôle à tout prix aurait mérité d’être tempérée, et ainsi, éviter de se précipiter comme un crétin dans le premier gros projet qu’on lui proposait. Ou alors, peut être qu’il aurait mieux fait d’écouter Assange, qui, au final, avait raison. Dans tous les cas, cela va naturellement l’affecter, et c’est heureux, et c’est normal, mais plutôt que de se mettre la rate au court bouillon parce que le protégé est dans une position délicate, il faut plutôt apprendre et tirer les conclusions de ce flop, qui, si il est une expérience formatrice de son côté, l’est aussi du nôtre.